On a pas mal entendu parler de la mort du minitel ces derniers jours, vu que le réseau a été fermé samedi dernier. Je ne vais pas revenir sur l’histoire du Minitel, sa vie et son œuvre, il existe déjà pas mal de références à ce sujet, autrement mieux documentées que je ne le suis.
Je voudrais juste revenir sur quelques souvenirs. Quand j’étais petit et que je vivais au Québec, dans les années 80, l’informatique représentait pour moi une sorte d’univers merveilleux et envoûtant. Le Commodore 64 était l’objet de tous mes fantasmes, et je dévorais encore et encore le livre tiré du film Wargames. Je savais ce qu’était un modem, mais je n’avais qu’une vision très limitée de ce qu’on pouvait faire avec ; j’imaginais qu’on pouvait interroger des « bases de données » (je connaissais le terme sans savoir ce que ça voulait vraiment dire). Bref, je savais qu’il y avait là un potentiel extraordinaire, et je souhaitais ardemment pouvoir le toucher du doigt.
En 1987, en arrivant en France, je découvre que tout le monde peut avoir chez soi − gratuitement ! − un terminal d’accès à des services “télématiques” (conjonction de télécommunication et d’informatique, rien que ce mot était porteur d’innovation). Je vois fleurir à la télévision des codes 3615, sésames vers des sources d’information qui semblent sans limite.
Attendez… Vous voulez dire que le truc qui me faisait rêver depuis des années, qui me semblait compliqué et inaccessible, est disponible dès maintenant ? Tous ces composants électroniques coûteux et volumineux dévoilés dans Wargames, ça peut tenir dans une petite boîte qu’on pose à côté du téléphone ? Tous ces codes cabalistiques, ces notions de programmation que j’essayais d’emmagasiner, ce n’est pas nécessaire ?
Et c’est gratuit ? Ça ressemble à un petit ordinateur, mais il suffit d’aller en demander un au bureau de poste ? (vous remarquerez l’ingénuité de l’enfant qui met la valeur dans l’objet physique, sans vouloir comprendre qu’on paye à l’utilisation)
J’avoue en être resté sur le cul pendant quelques temps. Fort intelligemment, ma mère n’a jamais voulu de minitel à la maison ; les factures téléphoniques reçues après l’achat de mon premier modem (ramené du Québec en 1991) lui donnèrent raison. Mais mon frère et moi avons réussi à lui faire acheter des ordinateurs, je ne m’en plains pas maintenant.
Quand j’étais petit, je dessinais des ordinateurs. Je combinais les caractéristiques des machines de l’époque, je composais des gammes complètes allant du micro d’entrée de gamme jusqu’au serveur d’entreprise. Naturellement, au milieu de tout ça, je me suis mis à penser à des machines hybrides, des sortes de minitels améliorés. Sincèrement, en 1990, un minitel avec un écran plus fin, des capacités sonores, et un modem plus rapide, ça aurait pu changer plus durablement le paysage des services en ligne. Mais les gens n’auraient pas été prêts à payer pour ça.
D’ailleurs, il faut remarquer que les expérimentations semblables au minitel, à l’étranger, ont échouées lorsque le terminal était payant. Preuve que le modèle économique était bien pensé.
Par la suite, je me souviens des BBS auxquels je me connectais dans les années 90, avant d’avoir accès à Internet. Que ce soit en mode texte ou en mode graphique, certains de ces services proposaient un accès dégradé pour les minitels ; quelques-uns passaient par le kiosque payant de France Telecom (3615 et consorts), d’autres demandaient simplement de se connecter à un certain numéro de téléphone.
J’aimais cette idée de pouvoir discuter avec n’importe qui, aussi bien avec des passionnés qui avaient un ordinateur (comme moi), qu’avec des passionnés qui rêvaient d’avoir un ordinateur (comme moi 10 ans auparavant) et qui avaient cette solution gratuite à portée de main.
Car le plus grand défaut du minitel était contourné par beaucoup de monde. Il fallait payer cher pour pouvoir ouvrir un service accessible sur le kiosque payant, et accepter le contrôle de France Telecom. Mais n’importe qui pouvait utiliser un simple PC avec un modem et une ligne téléphonique, et proposer des services à des millions de personnes. Plusieurs solutions logicielles existaient, quelques-unes étaient même gratuites.
La question du terminal passif resurgit régulièrement. Depuis les Network Computer présentés par Oracle en 1996, jusqu’aux premiers Chromebook livrés par Google en 2011, on peut y voir une filiation directe avec le minitel. Évidemment, ce n’est pas France Telecom qui a inventé le concept du terminal passif. Mais en nombre d’utilisateurs, c’est de loin celui qui a rencontré le plus de succès.
De nos jours, nous sommes globalement d’accord sur le fait qu’un terminal a besoin d’un minimum de puissance de traitement pour pouvoir afficher correctement une page web. Mais sincèrement, quand j’ai acheté un EeePC première génération à ma mère pour qu’elle puisse échanger des emails et surfer sur le web, je me suis senti repartir 20 ans en arrière, et j’avais dans les mains le minitel du futur.
Pour la petite histoire, j’ai lu plusieurs articles anglo-saxons concernant la mort du minitel. De manière assez répétitive, il est présenté comme une antiquité qui a empêché la France d’aller de l’avant, qui a ralenti la pénétration d’Internet. Quand on voit les offres ADSL triple/quadruple-play que nous avons en France, on est franchement bien placés par rapport au reste de l’Europe et du monde. Le seul effet visible était à la fin des années 90, quand on se connectait par modem ; par rapport à l’Amérique du nord, où les communications locales sont gratuites, les gens se connectaient effectivement moins. Mais cette période a été assez courte, et est derrière nous depuis bien longtemps.