(Cet article contient un certain nombre de liens, que je vous incite à suivre car ils sont une documentation, pas juste une illustration pour aller plus loin.)
Il y a un peu plus d’un an surgissait dans les médias l’affaire de la Ligue du LOL. Pour ceux qui n’ont pas suivi l’actualité, il s’agit de la plus importante affaire de cyberharcèlement massif en France.
Les faits remontent grosso modo à l’époque 2009-2013, période durant laquelle un groupe Facebook privé rassemblait des gens, hommes jeunes et blancs pour la majorité et travaillant dans le monde des médias au sens large, et qui utilisaient les réseaux sociaux comme un terrain de jeu où ils déversaient leurs blagues ignobles et participaient à des vagues de harcèlements ciblés.
L’histoire est ressortie grâce à un article de Libération, qui a déclenché une tornade médiatique. Les témoignages des personnes harcelées ont alors afflué. Certains sont regroupés dans des articles et des vidéos du Parisien, du Monde, de France Inter, de Quotidien, de Slate, et de tant d’autres.
Beaucoup de choses ont été dites et écrites à propos de cette affaire. Mais est-ce qu’il y a des enseignements à en tirer, qui soient transposables au monde de l’entreprise ?
(Avant d’aller plus loin, il me paraît important de signaler que l’affaire de la Ligue du LOL est complexe, et ses membres n’ont pas tous eu les mêmes comportements. Je ne l’analyse pas ici directement, mais je l’utilise − à travers son traitement médiatique − pour en extraire des leçons utilisables dans le monde de l’entreprise. Cette histoire est loin d’être terminée, comme on peut le voir encore ici ou là.)
Se méfier des jeux politiques
Cela a été dit et redit, la Ligue du LOL est avant tout une histoire de pouvoir. Un petit groupe de personnes forme un club qui réussit à maintenir une pression pour faire taire d’autres personnes, afin de s’assurer une position dominante.
Dans beaucoup d’entreprises, il existe des jeux politiques, ce n’est pas nouveau. C’est même plutôt la norme.
Cela s’explique par deux phénomènes principaux : l’ambition et l’instinct de survie.
Parmi les facteurs de réussite professionnelle, il y a l’intelligence, les connaissances, l’efficacité, la productivité, la capacité à faire travailler les gens en équipe, etc. Certaines personnes ont ces qualités et en font des moteurs.
D’autres personnes n’ont pas ces qualités, mais elles possèdent d’autres atouts dans leurs manches : la capacité à faire amis-amis avec les “bonnes” personnes, à mettre leur travail en avant (au détriment de celui d’autres personnes, même plus méritantes), à s’approprier le travail des autres, à écraser celles et ceux qui pourraient leur faire de l’ombre, etc.
Pour paraphraser une citation célèbre d’Isaac Asimov : en entreprise, la politique est le dernier refuge de l’incompétence.
Ce qui est insidieux, c’est que ça ne se fait pas de manière consciente, planifiée, orchestrée. Personne ne se lève le matin en se disant «Aujourd’hui, je vais manipuler untel pour qu’il pourrisse unetelle pour moi». C’est beaucoup plus subtil, et les manipulateurs ne se rendent pas compte de leur propre comportement. Ils sont d’ailleurs persuadés d’être du côté des “gentils” (ce qui les rend d’autant plus dangereux).
Mais quand ils expriment ce qu’ils pensent de telle ou telle personne à leurs amis (ou plutôt “alliés”), ils savent au fond de leur cerveau qu’ils mettent en place un travail de sape, qui sera d’autant plus efficace que ces alliés agiront comme de bons petits soldats et colporteront leur vision à travers l’entreprise.
Tout comme les lolleurs pouvaient compter sur leurs followers pour ajouter leurs voix en réponse à chaque tweet assassin.
Se méfier du «club des cools»
France Info avait publié une enquête intitulée “La ligue du LOL” : comment un groupe Facebook créé “pour s’amuser” s’est transformé en machine à humilier.
La Ligue du LOL y est décryptée comme «un club d’hommes qui se trouvent cool».
C’est quelque chose d’assez symptomatique. Les gens qui se voient comme plus cool que les autres forment naturellement un club informel. Dès lors, il est facile de se sentir supérieur, de rejeter ceux qui ne font pas partie de ce club, de se moquer d’eux. Cela sera d’autant plus fort que les moqueries serviront les enjeux politiques décrits plus haut.
Cet effet est décuplé si ce “club des cools” réussit à gagner une certaine aura au sein de l’entreprise. Il y a donc le “cœur” du club, le noyau dur, les meneurs, ceux qui mènent les charges. Autour d’eux, il y a les membres qui ont été acceptés dans le club, et qui suivent docilement les meneurs ; trop heureux de faire partie du club, ils ne voudraient pas en être éjectés (et préfèrent se faire maltraiter de temps en temps que de devenir des parias). Au-delà, il y a la “cour”, constituée de personnes qui aimeraient entrer dans le club, et qui gravitent autour autant qu’elles le peuvent.
C’est comme la Ligue du LOL qui avait ses membres les plus virulents, puis des membres plus passifs, et enfin des milliers de followers sur Twitter, sans qui le harcèlement n’aurait pas eu le même poids.
Tout ce petit monde agit en meute, contre les cibles désignées par les leaders, sans se rendre compte que cela ne sert que les intérêts d’un petit groupe.
Il est d’ailleurs intéressant de remarquer qu’en entreprise − comme pour la Ligue du LOL − ces clubs sont majoritairement composés d’hommes blancs. On objectera qu’il y a toujours des femmes ou des personnes de couleur dans ces groupes. Mais à bien y regarder, ces personnes sont toujours minoritaires, et rarement parmi les meneurs.
Par désir de se faire accepter, elles peuvent même être particulièrement virulentes, pour bien montrer qu’elles méritent de faire partie du groupe, passant de la groupie passive à la harceleuse féroce.
Certaines peuvent même faire partie de la cour tout en étant harcelées en même temps, comme cela a existé (voir ici aussi) pour la Ligue du LOL. Une analyse publiée par Le Point explique ce phénomène.
Il y a un indicateur de l’existence de ce genre de clubs en entreprise : si vous entendez quelqu’un imposer son point de vue en disant «j’ai 10 personnes derrière moi qui pensent la même chose».
Cela montre bien le «sentiment de toute puissance permis par un groupe et un sentiment d’impunité» (citation de ce tweet). C’est l’illustration qu’un petit groupe tente de noyauter les prises de décision dans l’entreprise. Habituellement, les gens sont trop malins pour exprimer à voix haute ce type d’assertion, mais il y en a parfois qui parlent plus vite qu’ils ne pensent.
Se méfier de ceux qui font du stand-up
Dans un précédent article, j’avais parlé des mécanismes qui font que l’humour est utilisé comme instrument de manipulation. Je vous invite à (re)lire cet article, mais je remets ici un extrait de l’étude intitulée Le rôle du rire dans les organisations que j’y avais cité : «Le pouvoir de celui qui sait faire rire les autres tend donc continuellement à augmenter, parce qu’il draine vers lui la sympathie et l’admiration des autres, et parce que, confusément, il se fait craindre.»
À l’époque où j’avais écrit cet article, Cyril Hanouna était critiqué pour ses blagues de très mauvais goût. Je citais un article qui disait : «Moquer quelqu’un (…) c’est “pas pour rire”, c’est “pour dominer”».
Donc oui, ouvrons les yeux, la moquerie est la première arme utilisée en entreprise pour démarrer les jeux politiques. Une personne moquée aura toujours tort ; soit elle se laisse marcher dessus, soit elle n’a pas d’humour.
On peut remarquer que parmi les membres de la Ligue du LOL, l’un d’eux a tenté de se justifier en disant : «J’adorais le stand-up et, frustré de ne pas le pratiquer, je tuais mon envie de blagues sur les réseaux. Sans réaliser que ce que j’écrivais pouvait être sexiste, grossophobe, homophobe et constituer du harcèlement» (s’il a depuis fermé son compte Twitter, le message en question a été repris dans un article de 20 Minutes).
Un autre ex-membre de la Ligue dit lui-même : «J’ai été un troll, je le suis toujours. (…) Je continue aujourd’hui de me moquer (…). Ça ne changera pas.»
Dans un article de Marianne consacré au sujet, l’analyse est que : «Plus tu clashes, plus ton nombre de followers augmente. Plus ton nombre de followers augmente, plus ton influence grandit.» Se moquer des autres est donc une stratégie évidente pour gagner de l’influence.
Donc oui, il faut se méfier des humoristes d’entreprise, ceux qui se prennent pour des snipers de l’humour, les trolls qui manient l’ironie, le sarcasme et la moquerie pour abaisser les autres et les dominer.
Du coup, si l’un d’eux fait du stand-up (ou aimerait en faire), ça devrait vous alerter.
Dernier truc qui devrait éveiller vos soupçons : si un “amuseur” est aussi capable d’humilier ou de crier sur des gens en public (d’autant plus s’il a un rapport hiérarchique avec ces personnes), les chances sont grandes que ce soit un individu toxique.
Être attentif au traitement des minorités
Comme cela a été dit et redit, les membres de la Ligue du LOL s’attaquaient à toute personne tentant d’avoir publiquement la parole sur Internet. Mais comme cela a été analysé «il est possible de dresser un premier portrait des cibles privilégiées de ces campagnes de cyberharcèlement : des femmes, féministes, journalistes, blogueuses, youtubeuses en début de carrière, des membres de la communauté LGBT, des personnes racisées ou des hommes ne répondant pas à leurs critères de masculinité» (cf. Libération).
En entreprise, les harceleurs ont tendance là aussi à viser les minorités. Toujours sous couvert de l’humour, ils vont faire peser une ambiance toxique aux yeux des personnes visées.
Cela peut être un directeur qui fait des blagues sexistes et dessine des phallus partout où il peut (y compris sur les carnets de notes de ses collègues), sans se rendre compte de l’effet pesant que cela peut avoir sur les femmes autour de lui.
Une fois que l’habitude est prise, ce genre de personne se permettra par la suite de faire du manterrupting voire même d’écarter les femmes hors des groupes qui prennent les décisions.
Cela peut être un autre directeur, qui se moque “gentiment” de l’accent d’un collègue d’origine étrangère − même si celui-ci fait partie du “groupe des cools” − pour mieux le faire taire.
Là encore, le résultat direct est une concentration du pouvoir (car au final tout cela est lié aux jeux politiques décrits plus haut) chez quelques personnes qui constituent le groupe dominant.
Ces signes avant-coureurs, lorsqu’ils sont tolérés, ne sont que la première étape avant le harcèlement plus systématique. Il faut donc être vigilant et ne pas accepter de tels comportements. D’autant qu’il sera toujours plus facile de contenir de tels actes, que par la suite changer les rapports de force lorsqu’ils sont profondément ancrés.
Se méfier du premier effet de groupe qui fera boule de neige
Il ne fait aucun doute que, prises individuellement, les actions des lolleurs portent assez peu à conséquence. Une personne se moque d’une autre, la belle affaire. Même les actes les plus répugnants, comme les insultes, les attaques sur le physique, les montages photo sexistes, racistes, homophobes, et autres, seraient gérables s’ils n’étaient le fait que d’une seule personne isolée.
Dans les cas de cyberharcèlement, il y a deux aspects qui s’alimentent l’un l’autre :
- Les followers, qui non seulement font des retweets, mais surtout commentent à leur tour de manière agressive, décuplant la violence initiale (et quand une personne a des dizaines voire des centaines de milliers de followers, ça peut faire très mal − même si une majorité est passive).
- Les lolleurs eux-mêmes, qui sont des relais les uns des autres, ajoutant leur visibilité (et leurs followers) à des messages qui n’en ont pas besoin.
En entreprise, cela peut prendre une forme légèrement différente.
Une personne toxique, mais isolée, peut être très nuisible. Pourtant, la plupart du temps, cette personne gardera un profil bas, comprenant qu’il n’est pas dans son intérêt de se dévoiler. Comme pour un microbe qui essaye de s’attaquer à un organisme trop fort pour lui, il pourrait y avoir un phénomène de rejet.
Les manipulateurs ont habituellement l’intelligence de sentir cela, et ne prennent pas de risques. Ils mettent un masque sympathique, sachant que leur heure viendra.
Les choses peuvent basculer s’ils réussissent à s’associer avec une autre personne (ou plusieurs autres personnes, suivant la taille de l’entreprise) du même acabit, dont les “objectifs politiques” seraient alignés avec les leurs. En unissant leurs talents, ils gagnent en confiance. Les actes qui ne seraient jamais passés auparavant − et auraient déclenché un rejet général − trouvent une caisse de résonance. En devenant des alliés l’un de l’autre (ou les uns des autres), ils se donnent une tribune publique.
Là où une attaque inacceptable aurait été rembarrée rapidement par une simple remarque, il y aura à ce moment quelqu’un pour dire «Oh laisse-le parler, c’est une blague !».
L’influence de ces personnages peut alors grandir, faisant boule de neige jusqu’à créer le “club des cools” décrit plus haut.
Se méfier des donneurs de leçons
Vous connaissez l’adage «faites ce que je dis, pas ce que je fais» ?
Après les révélations concernant la Ligue du LOL, l’indignation a été d’autant plus forte que plusieurs de ses anciens membres − et certains des plus virulents − occup(ai)ent des postes dans des médias qui se présentent comme étant progressistes, prônant des valeurs d’inclusion et de tolérance.
Et on peut voir que d’autres affaires ont été révélées par la suite, étrangement similaires avec celle de la Ligue du LOL, bien que sans lien (comme décrit par l’Express et Libération), là encore dans des médias où ce type de comportement «ne reflète pas les valeurs de l’entreprise», selon la formule consacrée.
Cinq jours avant l’article de Libération, le créateur de la Ligue donnait une interview dans laquelle il disait que «le rôle de la presse, ce n’est pas seulement d’informer, c’est aussi parfois de s’indigner».
Sept mois plus tôt, il avait même écrit un article dans Libération, au sujet d’un procès pour cyberharcèlement. Parlant des harceleurs, il disait «au moins savent-ils maintenant qu’ils sont dans la plus parfaite illégalité. Dans la délinquance Internet.»
En entreprise, on peut aussi observer ce type de comportement plein de mauvaise foi, voire à la limite de la schizophrénie. Certaines personnes pourront être les pires manipulateurs, se moquant des autres pour les écraser et jouer des jeux politiques pour s’assurer une place au soleil dans la hiérarchie de l’entreprise ; et en même temps chercher à se donner une image sympathique et rassurante, assurant vouloir inclure tous les collaborateurs dans un monde de partage et d’amour.
Cette deuxième facette n’est évidemment là que pour servir la première.
Évidemment, lorsqu’une personne véhicule un message d’intégration et de participation, cela n’implique pas automatiquement qu’elle est manipulatrice. Ce qui peut mettre la puce à l’oreille, par contre, c’est quand une personne (ou un petit groupe d’individus) cherche à définir de manière unilatérale les valeurs de l’entreprise − ou à orchestrer leur définition.
Comme ce que faisaient les membres de la Ligue du LOL, qui «se pos(ai)ent en arbitres de ce qui est cool et de ce qui ne l’est pas» (cf. Wikipedia).
Car contrôler la définition de ce qui est perçu comme des qualités positives dans l’entreprise, c’est le meilleur moyen de contrôler qui fait partie ou non de l’entreprise, qui sera récompensé et qui en sera dégagé.
Se méfier des départs (volontaires et imposés) trop nombreux
Les harcèlements des membres de la Ligue du LOL se faisaient avant tout sur Twitter. Certaines personnes harcelées n’ont eu d’autres choix que de fermer leurs comptes et de quitter les réseaux sociaux, alors qu’elles en avaient pourtant besoin pour leurs carrières.
Comme je l’ai dit plus haut, plusieurs autres histoires ont été révélées après celle de la ligue du LOL. Et cela ne touche pas que le monde des médias ; d’autres milieux sont touchés comme celui du jeu vidéo ou le monde hospitalier.
Là encore, de nombreuses carrières ont été brisées, des personnes ayant préféré quitter leurs postes à cause de tout ce qu’elles subissaient.
Les harcèlements qui se font à l’intérieur d’une entreprise entraînent bien souvent un turn-over important. Le but des harceleurs étant justement d’écarter les personnes qui − au choix − ne font pas partie de leur groupe ou sont en travers de leur chemin pour gagner du pouvoir (ou les deux), il est logique que cela mène à des départs.
Une campagne de harcèlement menée efficacement réussira d’ailleurs à panacher deux types de départs :
- Les départs volontaires de personnes harcelées, ou de personnes qui − sans être harcelées directement − ne supportent pas l’ambiance délétère générale.
- Les licenciements (plus ou moins “à l’amiable”) de personnes que les harceleurs auront réussi à dévaloriser suffisamment aux yeux du management de l’entreprise.
Dans tous ces cas de figure, les choses se font de manière pernicieuse.
Les personnes qui partent parce qu’elles en ont marre donnent toujours une autre raison, plus “politiquement correcte”. On ne dit jamais «Je m’en vais parce que je ne supporte plus qu’on se foute de ma gueule», ni «J’en ai ras le bol de voir Untel s’approprier le travail des autres». On dira plutôt «J’ai fait le tour de mon poste, j’ai besoin de nouveaux challenges», ou «Je cherche à donner un sens différent à ma carrière».
La direction de l’entreprise se raccrochera alors à ces raisons, trouvant ainsi des justifications plausibles qui ne remettent pas en question le fonctionnement interne de l’entreprise. C’est rassurant.
Puis il faudra virer des gens dont la seule faute est de ne pas faire partie du “club des cools”. Là, des raisons professionnelles douteuses seront invoquées. Si les harceleurs ont bien mené leur affaire, ils auront tellement discrédité le travail de ces personnes que leur hiérarchie tiendra pour acquis ce qui leur aura été patiemment soufflé à l’oreille.
Au bout du compte, il devient difficile de justifier un trop grand taux de turn-over. Chaque “raison” individuelle s’incline devant la réalité du nombre.
Se méfier des excuses
Dans la foulée de la publication de l’article qui a révélé la Ligue du LOL, plusieurs ex-membres ont écrit des messages, pour s’expliquer ou pour s’excuser.
Il y a ceux qui disent que c’était pour rire (et sa variante citée plus haut «J’adorais le stand-up»), ceux qui se justifient en disant qu’ils l’ont toujours fait en face et ceux qui disent qu’ils se sont améliorés depuis. Les excuses arrivent toujours après les révélations, ce qui les rend douteuses (mais au moins sont-elles là, d’autres ne se sont pas donné cette peine). On peut remarquer que ces excuses se sont accompagnées de nettoyages massifs de tweets, voire de fermetures de comptes ou de passages en mode privé.
Et les excuses sont souvent nuancées, mettant encore et toujours en avant l’humour, disant que ça correspondait aux codes en usage. Sauf que c’est faux, l’intégralité des utilisateurs de Twitter en 2010 ne s’insultait pas ; et surtout, chacun possède son libre arbitre et participe à ce à quoi il a envie de participer.
On peut voir là deux choses : la volonté de “noyer le poisson”, mais aussi le biais psychologique qui fait que «les personnes les plus actives sur le réseau se proclament représentants de la base» (cf. Wikipedia), alors qu’il n’en est rien.
L’autre argument avancé était que les lolleurs étaient des pionniers du web. On peut comprendre qu’un jeune de 23 ans qui découvre Facebook et Twitter en 2008 a l’impression de découvrir le Nouveau Monde, mais ça ne veut pas dire que c’est vrai. En l’occurrence, on avait déjà connu l’explosion de la bulle internet en 2000, preuve que c’était un média déjà mature, et qui avait déjà ses lieux de clash numérique (Usenet, puis forums sur le web).
On peut voir aussi un certain cynisme, lorsqu’un membre virulent de la Ligue du LOL dit «J’ai eu 10 ans pour m’excuser, je ne l’ai pas fait, je suis prêt aujourd’hui, par conséquent, à accepter la force de la loi.» (tweet effacé mais toujours visible), en sachant très bien que les faits sont légalement prescrits…
Dans son témoignage, une victime de la Ligue concluait par «Leurs excuses ne valent rien.». Cela semblait violent à l’époque, mais un an après on peut voir que l’heure n’est pas plus tant aux excuses qu’aux justifications. Des justifications qui reposent toujours sur les mêmes bases (nous étions jeunes et tout le monde faisait ça), et qui ne tiennent pas l’épreuve du feu.
Un ex-lolleur a eu le courage et l’honnêteté de reconnaître : «On était jeunes ! Autre époque ! disent certains : foutaises. Je vois aujourd’hui de jeunes ados plus matures que moi à 25 ans. Nous ignorions nos privilèges ! disent d’autres : pratique. On n’ignore jamais que ce à quoi l’on ne s’est jamais intéressé. On attaquait aussi d’autres privilégiés comme nous ! tentent d’autres. Plaidoirie audacieuse que celle qui repose sur « j’agressais, mais avec équité ». (…)
Nous étions de sacrées merdes qui n’avions même pas la bêtise comme excuse. Des merdes cyniques. Des merdes bien conscientes d’avoir de fortes chances de nous en tirer.»
Les harceleurs d’entreprise seraient eux aussi, à n’en pas douter, des “merdes cyniques”.
En entreprise, il peut arriver qu’on tente de confronter un harceleur avec ses actes. La plupart du temps, il niera tout en bloc. Après tout, un bon harceleur fera agir les autres à sa place ; ou ses actions prises individuellement resteront négligeables si elles ne sont pas remises en perspective avec la somme des actions qu’elles ont générées.
Avec un peu de chance, le harceleur reconnaîtra une partie de ses torts. Avec beaucoup de chance, il s’excusera d’une partie de ce qu’il aura reconnu.
Mais soyez vigilants, observez si ces excuses sont suivies d’un «mais…». Car aux yeux du harceleur, il y a toujours des choses qui expliquent, qui justifient, qui excusent ses actes.
Après avoir eu une bonne explication, le harceleur comptera sur le fait de vous avoir mis dans sa poche. Peut-être aura-t-il fait des excuses d’usage, ou bien vous aura assuré qu’il vous considère sincèrement comme l’un de ses “potes” dans l’entreprise. Ne baissez pas votre garde.