La création et le développement d’une startup peuvent, par bien des aspects, être comparés à ceux d’un groupe de musique. J’ai déjà parlé de musique sur ce blog, et de comment j’aborde l’organisation professionnelle un peu de la même manière que la composition musicale.
Vous êtes un groupe de punk
Soyons clairs : quand je parle de gérer votre startup comme un groupe de rock, dans les premiers temps vous êtes un groupe de punk.
Le punk, c’est brut (pas brutal), c’est minimaliste, ça va droit à l’essentiel. Pas de chichi, pas de fioritures. Pas de solos de guitare qui s’étirent en longueur, pas d’orchestrations alambiquées.
Votre startup est pareille. Vous n’avez ni le temps ni l’argent pour lancer des projets qui seront utiles dans six mois ou dans un an. Pas plus que d’embaucher des gens en espérant qu’ils soient utiles. Ni mettre en place des solutions techniques complexes.
Vous devez aller droit à l’essentiel, prendre des raccourcis et choisir l’efficacité à court terme. Il sera toujours temps d’améliorer plus tard.
Ceci tout en sachant identifier les culs-de-sac qu’il faut éviter, parce qu’ils vous bloqueront à plus long terme : signer un contrat avec une maison de disques est alléchant, sauf si vous êtes liés pour 10 ans en étant payés au lance-pierre.
Un des principes des groupes punk, c’est l’idée que les musiciens ne sont pas différents de leur public, tout le monde a la même valeur (dixit The Clash).
Dans une startup, ça se traduit par l’idée « Scratch your own itch » très répandue. Le meilleur moyen de répondre à un vrai besoin, sans faire d’études de marché, c’est encore de répondre à un besoin que vous avez. Si ça vous est utile, ça le sera sûrement aussi pour d’autres personnes. Si par contre vous n’en avez rien à faire, ne vous étonnez pas que ce soit le cas pour les autres aussi.
Vous êtes un groupe de punk qui joue dans des bars
Et quand je parle de bars, je suis gentil. Vous allez commencer par jouer à la fête de la musique. Puis vous jouerez dans des squats miteux. Et enfin, dans des bars.
Et même si vous rêvez de monter sur scène à l’Olympia, au Zénith, à Bercy ou au Stade de France, il n’en reste pas moins que vous allez commencer par jouer sur les scènes les plus minables qui existent.
Et vous savez quoi ? C’est très bien comme ça.
Le concept très connu de Lean Startup (détaillé dans le livre du même nom écrit par Eric Ries) présente une chose essentielle : sortez de votre bureau et allez parler à de vrais clients potentiels.
Créez une première version de votre produit, et itérez ensuite rapidement pour l’améliorer en fonction des retours clients. Ce sont ces retours qui vous permettront de peaufiner votre produit, voire même de faire pivoter votre startup dans une direction différente si vous vous rendez compte que les clients ne vous suivent pas.
Vous n’êtes pas Steve Jobs. Il ne vous suffit pas de monter sur scène pour que les gens adorent votre produit.
Si vous étiez vraiment un groupe de rock, est-ce que vous investiriez tout votre argent pour aller enregistrer en studio vos premières chansons, sans jamais les avoir jouées en public, sans jamais avoir regardé si les gens bougent la tête en rythme ou au contraire ont l’air de s’ennuyer ?
Vous êtes un groupe de punk qui fait son propre merchandising
Votre groupe de rock écume les bars depuis quelque temps et commence à se faire une petite réputation ? Yeah ! 🤘
Pour gagner un peu plus d’argent à chaque concert, vous pourriez vendre des choses à vos premiers fans. Mais quoi ? Pourquoi ne pas commencer par vendre des t-shirts « à message » avec le logo du groupe ? Si le message est suffisamment fort ou rigolo, il y aura des clients.
Mais comment faire ? Allez-vous investir dans une fabrication de qualité, pas très chère à l’unité mais qui oblige de produire plusieurs milliers d’exemplaires minimum, vous mettant immédiatement sur la paille ? Ou bien une production à l’unité par un professionnel, mais dont le prix par exemplaire vous empêchera de gagner de l’argent ?
Non, vous allez commencer avec les moyens du bord, et vous allez faire les premiers t-shirts à la main. Avec un pochoir ou du papier-transfert (ou en faisant de la sérigraphie dans votre baignoire, jusqu’à en faire un business).
Et les soirs de concerts, vous demanderez à l’un de vos potes de tenir le petit stand de vente, en échange d’une bière gratos. L’important sera d’être au contact des fans, de comprendre pourquoi ils achètent ou pas tel ou tel t-shirt, et savoir s’il y a d’autres produits dérivés qui pourraient les intéresser.
Si ça se trouve, vous découvrirez que vous avez une douzaine de fans hardcores qui seront prêts à payer 150 euros pour un disque vinyle collector sur lequel seraient enregistrés l’une de vos répétitions et l’un de vos concerts avec un son pourri.
Pour une startup, ce sera encore la même chose. Vous allez faire les choses vous-même, avec les moyens du bord, et vous allez les vendre vous-mêmes, car c’est comme ça que vous comprendrez votre marché.
Vous n’allez pas payer (cher) une société de service pour développer votre produit. Vous allez le créer avec vos petits moyens, quitte à utiliser des outils « no code » si vous n’avez pas de compétences techniques, ou à demander à votre petit cousin de vous aider.
Et même si vous avez les compétences techniques nécessaires, vous vous retiendrez d’utiliser des technologies de pointe, même si vous avez lu des articles qui disent que c’est ab-so-lu-ment nécessaire pour soutenir la croissance de votre startup.
Mettre en place une infrastructure cloud multi-datacenters auto-scalée, ce serait génial… mais est-ce bien nécessaire si votre prototype peut tourner sur un hébergement mutualisé à 5 euros par mois qui peut être mis en place en 5 minutes chrono ?
Ne me rétorquez pas que, grâce à ça, vous êtes tranquille pour le jour où vous aurez plein de clients. Vous n’êtes pas sûr que ce jour viendra, par contre le temps et l’argent que vous y consacrez maintenant va peut-être vous ralentir au point de vous empêcher d’y arriver.
Vous êtes un groupe de punk où tous les musiciens composent
Dans un groupe de rock, il y a toujours un ou deux musiciens qui sont plus prolifiques que les autres. Mais si on regarde bien, même lorsque le guitariste amène le riff principal du morceau, le chanteur apporte une idée de variation à un moment, le bassiste va écrire une ligne de basse qui va donner toute son originalité au morceau, le batteur va faire le break de batterie qui donne toute sa force à l’intro, etc.
Tout le monde apporte sa créativité, et c’est ça qui génère l’alchimie qui va faire des bonnes chansons, c’est ça aussi qui fait que tout le groupe s’implique et se donne à fond sur scène pour faire plaisir au public.
Dans une startup, c’est la même chose, chaque personne compte. Ce n’est pas une multinationale, avec un comité de direction qui prend des décisions, et des exécutants qui sont là pour les appliquer.
Non, une startup, ce sont des individus qui créent quelque chose en regardant dans une même direction, avec la même envie.
Imaginez Apple à l’époque où elle n’était composée que de Steve Jobs et de Steve Wozniak ! Quelle effervescence créative cela devait être !
J’ai vu des startups avec des contributeurs importants qui pouvaient avoir 19 ans comme 60. J’ai vu des startups créées par des gens bardés de diplômes comme d’autres créées par des autodidactes complets. Mais dans toutes les startups qui réussissent à atteindre un minimum de traction, les cinq premières personnes ont toujours été des gens créatifs et motivés.
Vous êtes un groupe de punk qui devra savoir se renouveler
Aujourd’hui vous êtes un groupe de punk. Brut, efficace. Et peut-être que vous pourrez rester un groupe de punk toute votre vie, si c’est votre truc.
Mais peut-être que vous aurez envie d’évoluer. Parce qu’il y a plus de public dans les concerts pop-rock que dans les concerts punk, donc plus de gloire et plus d’argent. Et peut-être que ce serait encore mieux si vous deveniez ensuite un groupe de hard-rock ? Et une fois que vous ferez du hard-rock, peut-être que vous auriez encore plus de succès en faisant du métal symphonique ?
Oui, peut-être. Mais ça, vous ne pouvez pas le savoir maintenant.
Par contre, ça veut dire deux choses :
- Il faut que tout le monde soit aligné sur les objectifs. Si le but est le succès et la gloire (et l’argent), il faut que tous les membres du groupe embrassent l’idée d’évoluer de cette manière. Si certains veulent évoluer, alors que d’autres veulent uniquement faire du punk, ça posera problème un jour.
- Pendant que vous composez vos chansons punk, vous pouvez commencer à ajouter des touches plus pop-rock. Mais si l’un des membres est en train de composer des arrangements pour un orchestre philharmonique, vous pouvez lui rappeler les priorités à coups de rangers.
Dans le cas d’une startup, il faut aussi être prêt à se réinventer. À « pivoter », comme on dit dans le jargon, en changeant plus ou moins subtilement de business model. Mais aussi en étant prêt à recruter pour des postes qui vous semblaient peu importants 6 mois plus tôt. Ou en allant attaquer des marchés qui vous semblaient trop complexes, et qui finalement pourraient être assez simples d’accès.
Mais si ça se trouve, vous êtes un groupe de jazz
Si vous ne connaissez pas la série télé Silicon Valley, je vous conseille vivement d’en regarder les six saisons. Ça dépeint avec beaucoup d’humour plein d’aspects de la vie des startups high-tech américaines.
Dans le cinquième épisode de la première saison, les développeurs de la startup réagissent aux tentatives de la direction pour les rendre plus efficaces :
− Il essaye de nous transformer en rock commercial (“corporate rock” en V.O.). Nous, on est du punk rock.
− Je crois que l’analogie la plus adéquate serait le jazz. Parce qu’on fait des riffs et on improvise autour d’un thème central pour créer un morceau de musique cohérent.
Alors à vous de voir. Vous êtes plutôt jazz ou punk ?